Sentiment de vide : agir n’est pas toujours la solution
Retour sur une session de coaching en groupe.
« Qui veut commencer ? »
Hélène se lance : « Moi, j’ai écouté ton module sur les personnalités atypiques*. Tu y parles beaucoup d’envies. Le problème, c’est que moi, en ce moment (et c’est quand même souvent le cas), j’ai envie de rien, sauf de manger. C’est vraiment la seule chose dont j’ai envie ou que je suis capable de faire. »
Élise rebondit : « Moi, c’est pareil, ça fait plusieurs jours que j’ai envie d’absolument rien… même pas manger. Quand je me dis que je pourrais regarder une série, j’ai envie de pleurer, parce que même ça, ça me semble trop dur. J’ai vraiment envie de rien. Et j’ai peur que ça s’arrête jamais. J’ai vraiment peur de sombrer dans la dépression ou quelque chose comme ça.«
Et Julie : » Je vois tout à fait de quoi vous voulez parler. Moi j’ai un cafard horrible. C’est peut-être parce que je viens de passer plusieurs jours en famille, très entourée, mais je me sens très vide et très seule.«
Bon. Ça va être sport. La moitié de mon groupe du jour est au fond du seau.
Déstabilisée par cette vague de mal-être généralisé, je réalise que ce cas de figure est compliqué à gérer pour moi. Je me suis laissée envahir l’angoisse de tout le monde et par la mienne.
Pourquoi est-ce si compliqué ?
Parce que tout ce que je peux dire à mes client-es, dans ces situations-là, c’est : » Oui, c’est très très dur. Tu es dans une phase vraiment pas drôle. Tu es tellement à bout que tu n’as vraiment envie de rien – en tout, cas rien envie de faire » et le meilleur conseil que je puisse donner à une personne dans cette situation, c’est : « Attends que ça passe. Recentre-toi sur toi au maximum, élimine tout le superflu et mets-toi au plus près de ton cœur, comme un chat qui se roule en boule. Ne juge pas ce qui se passe. Si tu as besoin de faire des crises de boulimie pour passer à autre chose, laisse-toi les faire.«
C’est frustrant pour tout le monde : les personnes qui souffrent voudraient entendre autre chose que ça. C’est bien normal. Elles aimeraient que je leur donne une solution immédiate pour sortir de ce cauchemar, que je les assure que ça passera (ce qui est vrai, ça passe) et que je leur donne des conseils concrets pour changer de situation tout de suite.
C’est frustrant pour moi aussi, parce que je me sens impuissante. Mon ego de coach voudrait dire : » Eh regarde, j’ai une solution géniale. »
Mais parfois, il n’y a rien à faire.
Il y a seulement à vivre l’instant, être présent, ne pas fuir.
Seulement, il est déjà si difficile d’être présent-e dans les moments agréables (surtout pour les personnes boulimiques, chez qui le « moulin à pensées » fonctionne de manière intense et ininterrompue)…
… Alors être présent-e quand on est rongé-e par le vide ? Mais quelle horreur.
Pourtant, être présent-e, c’est comme s’accepter : c’est valable tout le temps, pas juste dans les moments sympa. La vie, c’est aussi des moments de vide, de moins bien, de cafard.
Le plus difficile est d’accueillir ces moments pleinement, même s’ils font mal, même s’il sont désagréables.
D’arrêter de paniquer, d’angoisser, juste se faire confiance, sans chercher à faire quoi que ce soit de spécial.
Le premier réflexe, qui pourtant n’arrange rien, est de vouloir fuir : en attrapant son téléphone, en mettant la télé, en écoutant un truc.
Pourtant, rien n’arrive par hasard.
Résister contre ce genre de phases et les fuir est la pire chose que l’on puisse faire et pourtant, en toute logique, on se débat.
Question d’instinct de survie.
Seulement, c’est une telle torture de ne rien faire de spécial quand on se sent vide, de juste se mettre en boule.
Oui, c’est dur. C’est pour cela que je suggère de toujours procéder par toutes petites touches.
Si vous avez pour habitude de ne jamais accueillir ce genre de moments, d’avoir toujours le réflexe de saisir votre téléphone, d’aller sur les réseaux ou jouer à un jeu, commencez par ne pas le faire pendant juste une minute. C’est tout. Une minute, pas une seconde de plus.
Vous verrez, ce sera déjà difficile, mais peut-être pas autant que vous ne l’imaginez.
Le sentiment de vide, si bien connu des personnes boulimiques, nous dit des choses. Si on le fuit systématiquement, on n’en apprend rien.
Une fois, une de mes clientes m’écrit : « ça va pas du tout, j’ai rien envie de faire, je suis super agitée et j’ai juste envie de faire une crise.«
Je lui réponds : »Ta crise, tu n’y échapperas pas. Tu peux céder maintenant ou prolonger la torture en résistant, mais tu finiras par craquer. »
Quelques heures après, elle m’écrit : » J’ai fait ma crise mais ça va toujours pas du tout. Je suis encore plus angoissée qu’avant et, surtout, je ne sais pas quoi faire. C’est horrible. J’ai RIEN envie de faire.«
Je lui dis : » Alors, assieds-toi sur ton canapé et fais RIEN. »
« Quoi? Mais je comprends pas, comment ça ‘fais rien’ ? »
« Ne fais rien, attends. Ne cherche pas à fuir en regardant ton téléphone ou en flânant sur ton ordi. Fais juste absolument rien. Il finira bien par se passer quelque chose. »
« Bon, c’est bizarre ton truc. Mais d’accord, je vais essayer. »
Je prends des nouvelles quelques heures plus tard: « Comment tu te sens ? «
« Quand tu m’as écrit de rien faire, je t’en ai énormément voulu. Ça m’a mise en colère et j’ai beaucoup pleuré. Et c’était juste horrible de rester assise à rien faire, j’ai détesté. J’ai vraiment pleuré comme un bébé, j’ai sangloté et tout. Mais je me suis forcée et, à un moment, au bout de deux bonnes heures à pleurer, ça a fini par passer, j’ai arrêté de pleurer et j’ai eu envie de regarder une série que j’aime bien. Là ça va beaucoup mieux mais franchement c’était horrible.«
Après quelques mois de coaching, on reparle de cet épisode et elle me dit : « Ce que tu m’avais demandé, de me poser sans rien faire quand je suis un peu perdue, maintenant je le fais des fois. J’y arrive. Je me pose sans paniquer, sans angoisser, sans me dire que je devrais faire quelque chose et des choses finissent par émerger. Les envies viennent d’elles-mêmes.Mais ça m’a demandé de l’entraînement. «
Les solutions sont rarement celles que l’on croit.
Et, surtout, on pense toujours devoir faire quelque chose, agir, trouver des solutions (j’étais la première à penser ça, à être sans cesse dans l’agitation stérile) alors qu’on doit surtout commencer par être là.
Pas grand-chose de plus difficile pour une personne boulimique dont le cerveau fonctionne à plein régime, sans cesse.
Or, tout problème ou inconfort ne réclame pas forcément une solution immédiate. Parfois, il faut vivre le moment. Agréable ou pas.
C’est sûr que c’est moins glam que de proposer LES 10 astuces anti-cafard pour aller mieux tout de suite (appeler sa mère, promener son chien, prendre un bain, écouter de la musique, faire de l’exercice, s’acheter quelque chose de joli, aller bruncher, aller au cinéma, lire un livre, faire un câlin à son chat.)
Profitez bien de tous vos moments de cafard.
Masha