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Chronophobie et TCA

Chronophobie et procrastination chez les personnes qui souffrent de TCA

Chronophobie = Peur du temps qui passe 
Figée, le ventre noué, elle enchaîne les séries, qu’elle n’écoute que d’une oreille, tout en naviguant sur son téléphone. Elle zappe entre les jeux et les feeds des réseaux sociaux.

Elle a « plein de trucs à faire ». Elle n’arrête pas d’y penser. Et quand elle y pense, elle a peur. Elle angoisse. C’est horriblement désagréable.

Par où commencer ? Et pour combien de temps ? Et arriverai-je à aller au bout? Et à quoi bon, après tout ?

Procrastination et paralysie décisionnelle

La paralysie vient maladroitement la protéger de cette multitude d’options qui s’offrent à elles. Laquelle choisir ? Auxquelles renoncer ?

Elle se sent en-dehors d’elle-même. Elle voudrait mettre la vie sur pause, dormir deux semaines, faire tout ce qu’elle veut, reprendre son souffle, se remettre sur pieds, avant de reprendre cette course, qu’elle dispute avec un point de côté constant et des plombs aux semelles.

Elle se sent comme la dernière personne de la rando, celle qu’on attend en soufflant un peu, qu’on taquine gentiment. Celle qui ne peut que rester à la traîne, puisque dès qu’elle atteint enfin le groupe, il reprend la marche. Sa vie, c’est ça.

Lui viennent en tête des phrases toutes faites, qu’on lui a répété petite :

Tu perds ton temps, là, tu fais rien
Rien de pire que l’oisiveté
Le succès ne tombe pas des arbres, ni l’argent
Ceux qui ne se bougent pas sont des bons à rien

 

Et puis ces phrases de « motivation », lues sur Internet :

Chaque seconde qui passe, tu perds une opportunité de faire quelque chose de grand
Ne pas faire de choix, c’est faire un choix
Si tu veux rester dans ta médiocrité, ne change rien

Procrastination : se faire violence pour en sortir

Elle essaie de se faire violence, mais ça ne fonctionne plus. Elle n’y arrive plus. C’est au-dessus de ses forces.


Comme un pauvre feutre qu’on aurait trop usé et qui n’a vraiment plus une seule goutte de sève.

Elle se rassure, se motive, essaie de s’imaginer à quel point elle se sentira soulagée quand elle sera passée à l’action.

Parfois même, elle se lève et fait un pas en avant, tente quelque chose, concrétise un début d’action.

Mais très vite, la lassitude, lourde, poisseuse et profonde, l’envahit dans toutes ses cellules.

A quoi bon ?

Elle retombe sur son canapé, avec ce ventre si noué, si plein d’angoisses.

La seule chose qui viendra la délivrer, par la violence, c’est l’urgence de la réalité, implacable et impérieuse.

La convocation à l’examen, la relance des impôts, la carte bancaire qui ne passe plus.

La tension est si forte, le contraste, si absurdement béant, entre ses ambitions et ce qu’elle arrive à faire d’elle-même, qu’elle ne peut que se jeter dans des anesthésiants.

Procrastination et addictions

Elle regrettera après, mais là, tout ce qu’elle peut faire, c’est s’enivrer et manger, beaucoup.
Et recommencer.

Aucune idée de quand ça s’arrêtera, ça peut durer trois jours comme quinze, ou plus.

Elle devra faire semblant que tout va bien, surtout, ne pas affronter les regards inquiets ou réprobateurs.

Et ce foutu temps, qui passe, trop vite.

Profite, t’es jeune.
On n’a qu’une vie.
Tu es en train de vivre tes plus belles années.


Si seulement ils savaient. De belles années passées à bouffer, vomir, parfois ne même pas réussir à vomir, picoler, fumer, prendre des médicaments, se croire sauvée parce qu’on tombe amoureuse, se faire jeter, puis faire semblant, tout le temps.

Parce qu’ils ne comprendraient pas, de toute façon.

Cette réalité, si indicible, si insoupçonnable. Elle dont on croit qu’elle est forte, déterminée. S’il savaient.

Tu gâches tout. Tu as tout pour être heureuse. Moi non plus, des fois, j’ai pas le moral.
C’est quoi ton problème ? T’es jamais contente. Arrête de te prendre la tête, profite !
Ça passe trop vite, la vie.

Sortir de la procrastination par des astuces d'organisation

Comme tant d’autres personnes, elle a profité de ses regains de motivation pour se dire que « plus jamais ça ». 

Elle a pris des mesures. 

Téléchargé des applis d’organisation. 

Acheté une formation pour vaincre sa procrastination. Elle a même regardé l’intro.

 Elle a fait des plans, décidé de reprendre la main sur son sommeil et son alimentation.

Et franchement, elle s’est sentie soulagée. A partir de cet endroit d’énergie, elle a eu le sentiment que plus jamais elle ne pourrait retomber dans ces phases sombres et sans espoir, durant lesquelles le temps lui file entre les doigts, durant lesquelles, à toute allure, le reste du monde continue de tourner, pendant qu’elle se consume lentement sur son canapé.

Tout ça lui a semblé si loin, si insignifiant, si absurde.

Elle a tous les outils en main pour être organisée et adulte.

Elle a téléchargé de jolis modèles de to-do list, des tableaux, fait une matrice d’Eisenhower, comme sa coach le lui a proposé. Elle s’est acheté un nouveau cahier aussi, pour marquer ce nouveau départ.

La vie est belle et pleine d’espoir, finalement.

Elle en mépriserait presque cette vieille version d’elle-même, la faible, l’angoissée, qui a cru que c’était insurmontable alors que c’était si simple.

Elle a envie de donner des conseils aux personnes qui sont comme elle l’était, il y a encore si peu : « en fait, il suffit de faire le premier pas, le reste suit » ; « c’est juste un cap à surmonter, une fois qu’on passe à l’action, on se sent mieux » ; « moi, ce qui m’a aidée, c’est l’organisation« .

Elle y croirait presque.

Elle en a tellement envie.

Pourtant, la suite de l’histoire, on la connaît, vous comme moi. 

L'angoisse existentielle, au coeur de la chronophobie et de la procrastination

On entend dire parfois que c’est la recherche du plaisir immédiat qui cause la procrastination. D’ailleurs, on peut dire ça aussi des addictions.

Ce me semble être l’un des raccourcis les plus vulgaires qui soient.

Concrétiser des actions, c’est surtout une histoire de ressources émotionnelles et nerveuses.

La « procrastination », repousser des tâches qu’on va devoir faire, est une caractéristique courante des personnes sujettes à la boulimie et à l’hyperphagie.

Elle peut d’ailleurs se manifester par phases. Le reste du temps, elle sera entrecoupée de phases d’hyperactivité, hyperperformance, comme si la personne devait rattraper son retard.

Et on peut, me semble-t-il, voir se dessiner sans grande difficulté le parallèle avec le comportement alimentaire chez les personnes boulimiques ou hyperphage : je laisse tout tomber, je fais des crises, je ne sors plus de chez moi, je me laisser sombrer. Puis, quand je ressors de cet état, je me fais belle, je me motive, je remets tout en ordre, je redeviens la personne-modèle que j’ai envie d’incarner et de montrer au monde.

On aimerait tant qu’il existe, quelque part, des recettes, des astuces, des trucs qui pourraient nous aider à être mieux organisées. A ne plus procrastiner. A ne plus se laisser le choix.

Mais quand on est paralysé.e, pétrifié.e, le ventre plein de noeuds, à osciller entre tout ce qu’on sait devoir faire, tout ce qu’il va se passer si on ne le fait pas et l’absence totale de ressources pour le faire, ce n’est pas une astuce d’organisation qui y changera quoi que ce soit.

Je crois sincèrement qu’il faut l’avoir vécu pour le comprendre. Sinon, on a tôt fait de trouver les choses bien plus simples qu’elles ne le sont.

Non, ce n’est pas un simple relevé de compte à pointer.
Non, ce n’est pas juste un coup de fil à passer.
Non, ce n’est pas un mail à écrire, un timbre à coller, un achat à faire.

C’est un nid d’angoisses indéfinissables.

Les personnes qui vivent les troubles alimentaires savent de quoi je parle.

Et pourtant, elles peuvent être efficaces, performantes.

La sécurité intérieure, l'antidote à la procrastination

La différence entre les moments de paralysie et les moments d’efficacité ne vient pas d’astuces d’organisation, mais du sentiment de sécurité intérieure.

De la disponibilité des ressources émotionnelles et nerveuses et de la capacité qu’on a à les convoquer.

Les personnes sujettes à la boulimie et à l’hyperphagie connaissent presque systématiquement une angoisse accrue du temps qui passe.

Et je ne parle pas d’un inconfort, mais bien d’une angoisse profonde, existentielle. De celles qui font qu’on peut passer des jours pétrifié.e sur le canapé à jouer à Candy Crush, alors qu’on rêve de grandes choses.

Est-ce que j’ai la solution à cette angoisse existentielle ?


A part dire que les techniques d’organisation peuvent être vraiment utiles et cool, si on a déjà les ressources en soi à la bas, mais que sinon elles ne peuvent rien pour nous ?

Tout ramène à la sécurité intérieure. Au sentiment de paix, que certaines personnes ont par défaut, de manière presque innée (presque, parce que c’est surtout la sécurité de l’attachement qui va permettre d’obtenir cette sécurité par défaut) ; que d’autres acquerront grâce au lien relationnel, qu’il se crée dans le cadre d’une thérapie, ou non.

Sans cette sécurité intérieure, difficile de réaliser quoi que ce soit, de construire, de concrétiser.
D’y croire, de tenir sur la durée.
De voir un sens.

Cela paraît si simple et ça peut pourtant être si compliqué. Trouver au moins une personne qui entendra, écoutera, comprendra, ou pas, mais ne jugera pas. A qui on pourra dire ses angoisses et qui les accueillera complètement, sans condition.
Sans dire : « oh, bah, tout le monde vit ça, c’est rien ; t’as qu’à…. »

Ne serait-ce qu’une seule relation, quelques interactions vraies, connectées, dans lesquelles ont se sent en sécurité, restaurent la sécurité intérieure, apaisent l’angoisse du temps qui passe, le sentiment d’urgence, redonnent du sens.

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