Je suis déçue de moi-même quand je mange trop
Parmi les nombreuses croyances qu’on retrouve chez les personnes sujettes à la boulimie ou à l’hyperphagie que j’ai accompagnées, en voici une magnifique :
» Ce que je mange ou ne mange pas détermine ma valeur.
Si j’arrive à contrôler ce que je mange, je suis une personne forte, admirable, de valeur.
Si je n’arrive pas à contrôler ce que je mange, je ne vaux rien, je suis faible, bonne à rien. »
Est-ce que tu vois à quel point c’est faux et dangereux de croire ça ?
Et surtout, en croyant ça, j’adosse une valeur donnée et absolue – ma valeur – à un comportement, qui dépend de tout un tas de choses, mais certainement pas de
– ma volonté
– mon courage
– ma valeur d’être humain
– ma combativité
Une des personnes que j’accompagne dans sa libération de l’obsession alimentaire a partagé avec moi que
lorsqu’elle mange plus que ce qu’elle voudrait, cela joue sur son humeur.
Elle m’explique qu’elle est « déçue de son comportement, de ne pas réussir à (se) gérer » et qu’elle est « gênée de manger autant devant les autres ».
Elle ajoute que plus elle se sent gênée et déçue d’elle-même, plus elle mange.
Déjà, un nouvel angle de lecture me saute aux yeux quand je réécris ses propos : elle s’adresse à elle-même comme à une enfant qui n’aurait pas correspondu aux attentes qu’on a fixé pour elle. Quand elle se dit à elle même qu’elle est déçue de ne pas réussir à « se gérer », j’imagine qu’elle ressent une immense lourdeur, un abattement intérieur. Cela me fait penser aux enfants qu’on sort brutalement de leurs moments d’insouciance en leur rappelant que la vie, c’est pas de la rigolade, qu’il faut faire les choses sérieusement et qu’on n’a rien sans se donner du mal.
Pour le reste :
« Je mange plus que ce que je voudrais » = je décide avec ma tête (mon mental) de ce dont mon corps a besoin. C’est comme si on laissait une partie de nous qui est un excellent exécutant mais un très mauvais leader déterminer ce qu’on doit faire. C’est pas une bonne idée. Pourtant, c’est ce que collectivement, on fait encore beaucoup. On laisse le mental déterminer quand et comment on doit manger, dormir, avoir des relations, travailler, nous reposer.
Se pose la question aussi de comment je décide : quels sont les critères ? comment tu détermines ce que tu voudrais manger ? A partir de quoi, de quelles données ? Comment sais-tu où est la limite ? (elle me partage qu’elle regarde comment mangent les autres femmes présentes pour calibrer ce qu’elle est censée manger + elle se fie à son ressenti physique)
Ce qu’on travaille à fond en accompagnement, c’est :
– qu’est-ce qui fait que tu as besoin d’utiliser ton mental pour imposer des choses à ton corps ? Qu’est-ce que cela te procure ? De quoi cela te protège-t-il ?
Et que ce soit clair : je ne vais pas aider cette personne à lâcher-prise là-dessus. Ce mécanisme de contrôle par le mental a une fonction, un rôle et il est hors de question d’aller mettre un coup de pied dedans.
Non, on va regarder ce qui a peur, ce qui a mal, ce qui croit devoir être et faire plus. Et quand la personne est capable de prendre soin de ces parties-là, elle n’a plus besoin de se dicter des règles arbitraires avec son mental.
Je suis très claire là-dessus :
– une personne fait des crises de boulimie pour une bonne raison
– une personne cherche à contrôler ce qu’elle mange pour une bonne raison
– une personne se pèse 20 fois par jour, compte ses calories ou se compare à tout le monde, pour une bonne raison.
Oui, ces comportements font du mal, mais ils sont une réponse structurée et cohérente à des peurs et angoisses bien pires, qui causeraient infiniment plus de dégâts si la personne n’avait pas développé ces stratégies d’adaptation.
Donc en accompagnement, on ne touche pas à tout ça, on laisse faire les crises, les comportements compensatoires et on va regarder tout le reste, ce qui a peur, est angoissé, a mal.
Manger, c’est neutre : distinguer l’éprouvé des pensées
Qu’est-ce que j’entends par là ? Manger, c’est mettre des aliments dans ma bouche et les avaler. En soi, c’est un acte qui n’a pas le pouvoir de me faire ressentir de la gêne ou de la honte. Par contre, tout ce que j’associe à ce geste, tout la charge émotionnelle qu’il représente pour moi, toutes les pensées que j’ai à son sujet, ÇA, ça a le pouvoir de me faire ressentir de la honte et de la gêne.
Clairement, si je mange 10 kilos du même aliment d’un coup
Que je mange qqch d’avarié
Ou une substance à laquelle je suis allergique ou intolérante
Je vais ressentir, dans mon corps, de l’inconfort. Je vais peut-être même être malade, vomir, aller à l’hôpital, avoir mal. Mais on est bien d’accord, dans la plupart des cas, on n’est pas dans ces situations.
Quand les personnes sujettes à la boulimie/hyperphagie font des crises de boulimie, ou grignotent en continu, ou ont l’impression que leur repas dérape, qu’elles n’arrivent plus à s’arrêter, elles ont à la fois
– l’éprouvé physique, qui peut être infiniment douloureux : j’ai du mal à respirer, je somnole, j’ai super mal au ventre, je me fais vomir et ça me fait mal, je ne me fais pas vomir et ça me fait mal, j’ai les intestins en vrac, etc. Ça, c’est une réalité physique, physiologique. J’ai mal, je me sens mal.
– les pensées et émotions associées : et celles-ci peuvent rendre l’expérience incroyablement plus douloureuse qu’elle ne l’est déjà. Je constate que dans la plupart des cas, le ressenti émotionnel et cognitif est bien plus douloureux encore que la douleur physique résultant du comportement alimentaire.
Si je crois qu’une crise de boulimie, un repas qui dérape, un grignotage continu, ou n’importe quel comportement alimentaire qui ne rentre pas dans ce que je considère comme normal ou qui me permet de me sentir confortable dans mon corps veut dire de moi que :
– je suis faible
– décevante
– je ne sais pas « me gérer »
– je suis en train de rater ma vie
– je suis anormale, dysfonctionnelle, cassée
– je dois me ressaisir
– je suis en train de faire qqch d’extrêmement grave
– etc
Alors, en plus de la douleur physique, je ressens une très forte souffrance émotionnelle.
Et les conséquences de cet épisode vont me suivre, parfois pendant plusieurs jours :
– il va falloir que je rattrape tout ça
– demain, régime et sport
– je dois me battre
– je dois faire mes preuves, montrer que je ne suis pas faible
Ou encore :
– de toute façon, ça ne sert plus à rien que j’aille en cours, que je suive ma formation, que j’aille en thérapie (!), je suis trop nulle
– je ne peux pas me montrer comme ça
– je préfère annuler mon rendez-vous, j’ai trop honte de moi
– impossible de sortir dans cet état, c’est même pas la peine
– personne ne peut me comprendre, de toute façon
Voyez comme ça va loin.
Je répète tout le temps que :
– le corps ne fait jamais rien contre nous.
– il est toujours de notre côté. Toujours.
– les crises, comme les comportements de compensation ou la restriction, ont une fonction. Il faut respecter ça et ne pas y toucher, surtout, tant qu’on n’a pas acquis une certaine sécurité intérieure
– c’est inutile et dangereux de déployer son énergie à essayer de contrôler son alimentation. Investissez-la dans : apprendre à écouter votre corps, à vous brancher sur ce qu’il vous dit ; apprendre à identifier ce que vous aimez/n’aimez pas dans la vie, de manière très concrète ; quels sont vos besoins et valeurs ; ce qui vous rend heureux.se, vous fait vibrer (exemple : les activités pendant lesquelles vous ne voyez pas le temps passer ; les personnes avec qui vous vous sentez libre et safe). En vous apportant de la sécurité intérieure, vous finirez par avoir de moins en moins besoin de l’obsession alimentaire. Cela veut dire aussi qu’il faut accepter qu’il y a une temporalité. Ce n’est pas un truc qu’on résout, c’est une rencontre qu’on fait avec soi.
Toutes ces choses, c’est exactement ce qu’on travaille en accompagnement. Vous pouvez faire ces choses seul.e, mais c’est plus long et plus difficile, surtout de comprendre exactement ce que ça signifie pour vous, comment l’incorporer à votre vie.
J’ai pris la décision de supprimer le double accompagnement et de revenir à une seule formule.
Les nouveautés c’est : moins d’individuel (et au fur et à mesure du temps, il y en aura de moins en moins) ; plus de séances de groupe ; des sessions en binôme ; et toujours les échanges écrits illimités, qui permettent de creuser à fond ce que vous traversez entre les séances + l’accès à vie à toutes les ressources en ligne. Pour candidater, c’est ici: https://forms.gle/ywyjNKW7gHTm5mK86
