Plus mordant, tu meurs : « Le coeur au ventre », de Guy Carlier.
Le coeur au ventre
de Guy Carlier
Cru et caustique.
Une description dépouillée, d’une transparence gênante, de scènes de vie, avec un humour cynique et totalement désabusé.
Et puis, il y a cette boulimie, présentée sans filtre, dans toute son humanité honteuse, toujours quelque part, tantôt en musique de fond, tantôt au premier plan.
Tout sauf une vision romantique des troubles alimentaires et de la souffrance, en somme.
Personnellement, j’ai toujours éprouvé une fascination immense et malsaine et aussi un sentiment de reconnaissance infini à l’égard des personnes qui livrent crûment des morceaux de vie, que tout le reste du monde s’acharne à cacher frénétiquement. Surtout lorsqu’il s’agit de personnalités exposées, comme Guy Carlier, chroniqueur radio et télé.
Le temps de la lecture, on est totalement dans le voyeurisme déplacé. Et, en même temps qu’elle dérange et met mal à l’aise, la vérité nue de Guy Carlier bouscule et touche en plein cœur.
Comme d’habitude, je trouve que rien n’est aussi parlant que de vous livrer des passages qui m’ont marquée moi-même quand j’ai lu Le Coeur au Ventre. Le style et le contenu parlent d’eux-mêmes.
« Je faisais à l’époque beaucoup de sport. Je fumais aussi, ce qui limitait les conséquences visibles de ma maladie. Pour être clair, je n’étais pas encore obèse, mais j’étais déjà totalement boulimique au point que, une nuit, une envie de bouffer me réveilla. Plus précisément une envie de côtes de porc à la poêle. Je quittai silencieusement la chambre conjugale comme d’autres vont rejoindre une maîtresse (oui, je sais, la métaphore est facile mais elle est juste – non finalement, elle n’est pas si juste, je devrais dire : je quittai le lit familial comme d’autres vont se branler dans la salle de bains, tant la boulimie est un acte solitaire). Je quittai silencieusement la chambre située au premier étage et descendis dans la cuisine où, après avoir fait fondre la moitié d’un paquet de beurre dans une poêle, je fis dorer quatre côtes de porc (oui, en jouant avec la forme arrondie de l’os, on peut les disposer de telle façon qu’elles tiennent à quatre dans une grande poêle.)
Puis, pressé par l’urgence de la crise qui ne me laissa même pas le temps de vider la poêle, je posais celle-ci sur la nappe qu’elle fit fondre et au moment précis où j’y trempais une mouillette de pain, la porte de la cuisine s’ouvrit et je vis apparaître ma femme, suffoquée de surprise.
Le temps sembla se suspendre tandis que son regard allait du plat contenant les côtes de porc à ma main tenant le morceau de pain noirci de beurre saturé.
Elle finit par dire doucement, presque sans bouger les lèvres : « C’est pas possible… »
Alors, de mon ventre humilié et contrarié par cette intrusion, jaillit une éruption de violence et je lui balançais au visage la poêle contenant les côtelettes et leur beurre de merde. Elle ne dit rien, me regarda un instant pour bien imprégner ma mémoire de son visage souillé de beurre fondu, puis elle referma la porte et monta se coucher. Elle ne me parla plus pendant plusieurs jours, elle ne faisait même pas la gueule, elle était juste triste. Elle avait de quoi. Cette nuit-là, j’avais juste détruit notre histoire. »
✨✨✨✨✨
» Je me suis marié très jeune comme si j’allais en boîte. Tellement loin d’être fini. Je n’avais même pas encore la réponse à mes questions d’enfant, je sortais d’un désastre affectif et je devais vivre avec une femme. Je lui donnai mes désastres, mes terres brûlées et mes jachères. Je n’insisterai pas sur cette union, qui justement n’avait rien d’une union. Chacun avait tant à faire pour survivre qu’il ne regardait pas l’autre. L’autre con de Saint-Exupéry s’est cru malin d’écrire cette phrase gravée sur des assiettes de faïence que les blaireaux accrochent au mur de leur salon : « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. » D’abord, ça ressemble à un slogan de l’UMP, ensuite il y a dans cette affirmation un côté pétainiste, travail, famille, patrie insupportable, et puis surtout c’est faux. Complètement faux. L’amour, c’est regarder l’autre, être attentif et généreux. L’amour, c’est le partage et l’aviateur aurait mieux fait de continuer à transporter le courrier de La Poste en Amérique du Sud et à dessiner des moutons plutôt que d’écrire des conneries pareilles.
Je ne partageais rien avec ma femme. J’aurais bien aimé, mais je n’avais rien à partager, rien à lui offrir que le dégoût de moi-même. Alors, elle s’éloigna de moi pour ne pas être détruite. Une fois de plus, je me sentais abandonné et, une fois de plus, j’ai bouffé. C’est à cette époque que ma maladie est passée du stade de boulimie « sauvage » à celui de boulimie « organisée », comme il existe du banditisme organisé. Je passais ma vie à mentir pour bouffer. Je devins le roi du sandwich, le roi des room-services dans les hôtels, le roi de la bouffe dans la voiture, dans les parkings, dans mon bureau de directeur financier. Quoi ? qu’est-ce que tu dis ? Le roi du sandwich, d’accord, mais tu veux des exemples croustillants ? Eh bien, par exemple, je quittais le lit conjugal de notre appartement de Bois-Colombes en pleine nuit pour me rendre à Pigalle. Mais je n’allais pas aux putes. J’allais aux kebabs ! Je savais que je trouverais à Barbès ces boutiques de sandwichs grecs au buffet ouvert sur la rue toute la nuit. »
Les liens de cette page sont des liens affiliés Amazon. Vraisemblablement, l’éditeur ne propose plus l’ouvrage qu’au format Kindle (sinon, des particuliers vendent l’ouvrage d’occasion à moins d’1 euro, en format papier).


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