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Faut-il vraiment laisser le passé au passé ?

Il semblerait que toute une génération de praticiens refuse catégoriquement de parler du passé.

J’ai suivi des thérapies de groupe au cours desquelles le thérapeute interdisait à ses patients de parler de leur enfance.

Le parti pris est intéressant et tout à fait fondé : il est trop tentant d’invoquer un passé difficile voire traumatisant pour justifier l’immobilisme.

Accorder trop de place au passé, c’est prendre le risque de se complaire dans un présent douloureux plutôt que prendre ses responsabilités pour changer ce qui doit l’être.

Pour autant, quand le passé est tellement douloureux et persistant qu’il empoisonne le présent est-ce bien du passé ?

On ne peut pas décider d’oublier, comme ça.

Une de mes anciennes clientes, âgée de 49 ans, me disait qu’elle était « encore hantée par les images de ce qui [lui] est arrivé quand elle était toute petite. » Exposée à des circonstances traumatisantes de sa petite enfance jusqu’à son adolescence, elle n’arrive tout simplement pas à tourner la page.
Elle m’explique que lors de ses nombreuses thérapies, elle s’est souvent heurtée à un mur lorsqu’elle a tenté d’évoquer ces souvenirs douloureux : « La plupart des psys que j’ai vus me disaient qu’il ne fallait pas remuer le passé et qu’il fallait aller de l’avant. Une seule fois, j’ai vraiment eu l’impression d’être écoutée : le jour où une psy m’a dit que oui, c’était très grave ce qui m’était arrivé et que j’avais toutes les bonnes raisons du monde de l’avoir mal vécu.« 

Moins que les événements en eux-mêmes – même extrêmement traumatisants – c’est surtout l’incapacité d’avoir pu les traiter correctement qui maintient dans la souffrance

Les cas les plus fréquents que je rencontre sont les suivants :

Les personnes concernées (= les personnes qui ont contribué au traumatisme ou qui n’ont pas protégé l’enfant) ne veulent pas entendre parler du passé, ne sont pas en mesure de gérer leur propre culpabilité et font preuve de déni (« tu exagères », « ta mémoire te trompe », « ce n’est pas de ma faute, c’est à cause de ton père/de mes propres parents/de la situation du moment« ).

Elles peuvent aller jusqu’à nier carrément les faits, ce qui est, pour l’adulte dont la blessure d’enfant n’a pas été entendue, source d’une confusion immense (« est-ce que je divague ? ») d’un sentiment d’impuissance et d’une colère sourde, qu’il retourne généralement contre lui-même.

Cet adulte, qui garde en lui cette blessure d’enfant non reconnue, ne parvient pas à se dépêtrer de cette toile d’araignée, partagé entre la colère et la douleur ancrés en lui et l’injonction qu’il reçoit de « passer à autre chose » et « laisser le passé au passé« .


Il arrive par ailleurs que, sans nier les faits, la personne auprès de laquelle on cherche à être entendue réponde à la douleur par sa propre douleur : chaque fois que l’adulte blessé cherchera à revenir sur les faits qui le maintiennent dans sa toile d’araignée, il se heurtera à des objections : « et moi, qu’est-ce que je devrais dire ? », « j’étais complètement déprimé-e, j’avais besoin d’aide », « tu ne te rends pas compte de tout ce que j’ai fait pour toi« , « si tu crois que c’était facile pour moi de gérer tout ça, en plus en m’occupant d’un enfant » etc


Je connais par exemple une personne qui a subi un viol étant plus jeune. Elle a réussi, grâce à un travail thérapeutique profond, à surmonter ce traumatisme. De son côté, sa mère, des années plus tard, continuer de clamer qu’elle est traumatisée par le viol de son enfant et justifie par là son incapacité à se sortir de ses propres difficultés.


Enfin, il peut arriver tout simplement que les personnes concernées ne soient plus vivantes ou plus en état d’écouter.


Le souci extrême de certains thérapeutes de ne pas désigner de coupable et de rappeler que les parents ou figures d’autorité ont fait comme ils ont pu a souvent pour effet pervers de priver la personne en souffrance de l’opportunité de vivre sainement et pleinement sa colère et sa tristesse.

Elle les traîne alors comme des boulets, parfois jusqu’à un âge avancé de sa vie, sans parvenir à comprendre ce qui peut bien déconner chez elle.


Refuser de parler du passé sous prétexte qu’on n’a pas à chercher de coupable et que chacun a fait de son mieux, c’est passer à côté d’une chose essentielle : on a, paradoxalement, pas besoin d’être entendue par LA ou LES personnes incriminées pour réparer sa blessure. Sauf quand cette ou ces personnes font partie de notre présent et qu’on tient à ce qu’elles y restent. Et encore.


Ce dont ont besoin les personnes hantées par leur passé, ce n’est pas que le « coupable fasse repentance » : cela ne soulagerait personne.

Elles ont besoin d’être entendues et reconnues. Qu’on leur dise :  » Oui, tu as raison. Tu as beaucoup souffert. j’aurais dû être là pour toi, j’aurais dû te protéger. Je suis désolée. Je t’aime. »


Et si cela ne peut venir des personnes à l’origine du traumatisme, il y a d’autres moyens de recevoir ce message (les thérapeutes ont à leur disposition des outils pour cela).


Un blocage qu’on traîne depuis des années peut être résolu en quelques séances, beaucoup plus vite qu’on ne le pense, à condition qu’on apporte à la personne ce dont elle a besoin :

  • la reconnaissance intégrale de sa souffrance, sans « oui mais », sans « c’est le passé », sans « ils ont fait comme ils ont pu »
  • la possibilité de s’exprimer pleinement et de laisser libre cours à sa colère, sans censure
  • l’espace pour tirer des conclusions constructives de cette expérience, lorsque la personne y est prête et pas avant.

Refuser catégoriquement de prendre en compte le passé, c’est maintenir la personne dans ses blocages, la laisser rejouer le scénario indéfiniment et la priver de l’opportunité d’évoluer.

On ne peut commander l’apaisement à l’égard du passé, qui ne peut survenir qu’à condition que l’on ait pu dire tout ce qu’on avait à dire.

Au thérapeute de démêler ce qui relève de souffrances passées non traitées ou d’une complaisance dans des mécanismes paralysants.

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