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Boulimie et relations : être (vraiment) là suffit

Relation à l'autre :

être (vraiment) là suffit

C’est comment, être en relation quand on connaît la boulimie ou l’hyperphagie ? Voyons comment votre posture intérieure impacte directement vos interactions.

Mes proches, ceux que j'aime, je ne peux pas les laisser aller mal sans rien faire.

En travaillant sur ses mécanismes, Alice* réalise que lorsqu’une personne, à plus forte raison une personne qu’elle aime, dont elle est proche, témoigne de son mal-être, elle se met automatiquement dans un mode : optimisme, « remontage » de moral, prestataire de solutions, aider à voir le bon côté des choses, rassurer

Les failles du syndrome du sauveur

Bref, elle ne peut pas rester sans rien faire quand quelqu’un qu’elle aime va mal.

Depuis qu’elle a commencé à se faire accompagner, elle voit désormais des failles à ce comportement automatique du syndrome de sauveur, qui lui a semblé absolument légitime et indiscutable pendant des années :

BAM, ça loupe pas : elle fait une ou des crises de boulimie.
En acceptant de questionner ce mécanisme qu’elle trouvait totalement légitime « quand on aime quelqu’un, on a forcément envie de l’aider, c’est normal », elle réalise progressivement que vouloir à tout prix voler au secours des gens que l’on aime, c’est d’abord parce qu’il nous est insupportable de les voir souffrir.

Pourquoi ce comportement de sauveur reflète ma propre frustration?

En intervenant systématiquement lorsque l’autre partage sa peine, son impuissance, sa colère, ses difficultés, en me mettant en mode prestataire de solutions au lieu de d’abord écouter, je prends en charge ma propre frustration, mon intolérance à la souffrance de l’Autre.
Je crois m’occuper de l’autre, lui être utile mais:

  • À quel moment est-ce que je prends la peine de lui demander de quoi il aurait besoin vraiment besoin ?
  • Serait-il possible que je présume moi-même de ses besoins, sans prendre la peine de les lui demander ?
  • Que je colle ma croyance (quand on aime quelqu’un, on l’aide) sur la situation, sans prendre la peine de consulter l’Autre ? 

Les croyances sous-jacentes dans ce comportement

Alice en est persuadée : quand on partage quelque chose qui fait mal, c’est forcément pour recevoir de l’aide ou recueillir des conseils, même si on ne le demande pas explicitement.

Et d’ailleurs, les personnes en souffrance peuvent elles-même avoir cette croyance, qu’elles ont besoin de conseil ou d’aide. 

Et pour autant , lorsqu’elles les reçoivent, ça tombe souvent à côté, elles se sentent frustrées d’être incomprise.

Elles se disent alors qu’elles n’ont simplement pas reçu les bons conseils, mais ne questionnent pas forcément leur vrai besoin : est-ce réellement de conseils dont elles ont faim ?

Ces deux rôles, le prestataire de solutions et le demandeur de conseils, je les ai moi-même occupés avec brio jusque très tard dans ma vie.

Comme Alice, dès qu’une personne – notamment une personne que j’affectionnais – me faisait part d’une difficulté, mon premier réflexe était de commencer à chercher des solutions et des conseils dans ma tête.

Et je pensais réellement être dans l’aide.

À l’inverse, lorsque j’allais mal, je naviguais de personne en personne, à la recherche de bons conseils, toujours frustrée qu’ils soient inapplicables pour moi, en colère que l’autre soit tellement à côté de la plaque.

Vous l’avez probablement compris, je n’ai plus du tout cette croyance qu’on partage sa peine pour recevoir des conseils.

Mais alors, on le fait pour quoi ?

Il y a plein de raisons de partager ce qu’on traverse :

  • être écouté
  • être entendu,
  • être épaulé. 

Recevoir le cadeau d’une vraie et entière écoute de la part de l’Autre.

 

Cas pratique d'une vraie écoute de l'Autre

Alors, comment ça se passe, une interaction dans laquelle une personne raconte sa peine et l’Autre ou les autres écoutent vraiment ?

Prenons un cas pratique.

Lors des groupes de thérapie Boule de Vie (en savoir plus ici), les personnes qui se sentent obligées de proposer des solutions, de mettre l’ambiance, de positiver dès qu’une personne exprime une souffrance expérimentent la possibilité de ne rien faire d’autre que d’écouter, vraiment. C’est une expérience qui peut être vraiment déroutante, d’ailleurs. 

Quand on n’est plus dans l’obligation de trouver des solutions, alors on peut être tout entier.e. à l’écoute de l’autre.
Le besoin de trouver des solutions repose souvent sur la croyance qu’il faut faire quelque chose, que si on ne fait rien, si on ne se met pas en action, c’est comme si on en avait rien à cirer de la douleur de l’Autre.

Pourtant, c’est quand on ne cherche pas à trouver des solutions qu’on peut vraiment rester dans l’échange. On ressent alors des choses, dans son corps, dans ses tripes. Des choses qu’on ne peut pas ressentir quand le mental seul est en scène et mouline pour trouver des solutions, au lieu de regarder et d’écouter l’Autre.

Lors d’un groupe, Alice écoute le récit de Sonia*.

Bien que cette dernière ne raconte pas son histoire en détail, elle comprend à travers l’échange qu’elle a vécu des choses très graves.

Alice :
 « Là, j’aurais envie de dire quelque chose, de rassurer Sonia, de positiver, comme je le fais d’habitude, de lui faire voir qu’il y a aussi un sens à tout, mais là je ne peux juste pas.
Je ne me sens pas légitime à partager, parce que je n’ai pas vécu ce qu’elle a vécu et quoi que je lui dise, ça tombera à côté, ce sera complètement inapproprié. Son histoire est tellement grave que quoi que je dise, ce sera juste de trop.
« 

Thérapeute :
(bon, je parle de moi à la 3e personne, c’est l’instant mégalo, mais c’est surtout bien pratique) : « Oui, en effet, il me semble aussi que dans ce cas précis, ton mental ne peut pas grand-chose pour toi. Qu’est-ce que ça te fait de ne pas pouvoir recourir à tes outils habituels, de voir que ton mécanisme automatique habituel est inopérant ? »

Alice :
« Je me sens frustrée et en même temps ce n’est pas si horrible que je l’imaginais. C’est une drôle d’expérience que d’écouter sans vouloir à tout prix donner des solutions. Mais ça me fait assez bizarre, je dois dire. Je vois que ça me demande une sorte d’effort. « 

Thérapeute :
« J’entends que tu ne te sens pas légitime à donner un avis ou à proposer des solutions, mais je vois en revanche qu’il se passe plein de choses en toi, là.« 

Alice :
« Ah bah oui, je ressens de la chaleur dans le ventre, comme une boule de colère. Et de la tristesse pour Sonia, ça se passe par là (elle montre la gorge). En fait, je crois que ça me met super en colère d’entendre l’histoire de Sonia et ça me rend super triste pour elle… (silence) et aussi, elle me touche vachement. J’aime tellement son énergie, elle…« 

Thérapeute
« ... Dis-lui à elle, directement. »

Alice :
« Sonia, je te trouve tellement… Je sais pas, tellement douce. Et en même temps tu as une énergie qui dépote, une vigueur, ça me plait. En fait j’adore t’écouter. »

Jeanne* intervient dans l’échange et ajoute :
« J’ai ressenti exactement la même chose qu’Alice, je me suis dit : « mais qu’est-ce que je vais pouvoir dire à Sonia, son histoire est juste horrible. Je ne suis pas légitime à dire quoi que ce soit ». Mais par contre, je ressens les mêmes choses qu’Alice. Et puis en fait, quand je te vois, que je t’écoute parler (elle s’adresse à Sonia), je me dis que j’aimerais trop passer du temps avec toi. Moi aussi j’adore t’écouter, tu me fais rire quand tu t’enflammes sur un sujet. Je sais pas, à la fois j’entends que tu as vécu des choses horribles et que ta vie est compliquée, mais en même temps tu dégages tellement de légèreté, de joie de vivre et de douceur. »

D’autres participantes acquiescent.

Sonia émet une moue d’étonnement :
« C’est fou, moi je ne me vois pas du tout comme ça. D’ailleurs, on m’a toujours dit de calmer mes ardeurs quand je m’exprime, j’ai toujours l’impression qu’on me prend pour une folle, que ça dérange les autres. Je vous entends, hein, mais j’ai vraiment du mal à vous croire… Enfin, ce n’est pas que je ne vous crois pas, je sais que vous êtes sincères… Mais ça a du mal à monter jusqu’à la tête. »

Thérapeute :
« Est-ce que c’est vraiment jusqu’à la tête que ça a du mal à monter ? C’est la description exacte de ce qui se passe pour toi, là ? « 

Sonia : 
« Non, disons que ma tête comprend, mais je ne ressens pas ce que vous dites, c’est comme si vous parliez de quelqu’un d’autre quand je vous entends. Je ne me reconnais absolument pas. Et puis j’ai toujours l’impression de passer pour une folle.
« 

Thérapeute : 
« Si ça se trouve tu passes pour une folle, mais visiblement ça ne pose aucun problème. Il semblerait qu’il y ait ici plusieurs personnes qui adorent ça chez toi.« 

Le message à retenir

Cette situation illustre un message essentiel en communication :

Etre (vraiment) là pour l'autre suffit.
Ecouter avec ses oreilles, ses yeux, son coeur et son corps suffit.

Et c’est souvent ça qu’on ne sait pas faire, quand on connaît la boulimie/hyperphagie :

On est tellement dans un souci de se rendre utile, de servir à quelque chose, de dire quelque chose d’intelligent, d’intéressant, qui sert, qu’on ne se rend pas compte de la richesse qu’on peut apporter à l’autre, juste en partageant ce qui se passe en nous à son contact.
Comme si on ne suffisait pas, si on n’apportait pas ce qu’on voit (à tort, selon moi) comme une plus-value.

Souvent, les participantes des groupes sont perplexes de découvrir que leur présence suffit. Qu’on peut prendre plaisir à ce qu’elles soient là, tout simplement.

Et quand on n’a rien à dire d’intelligent, pas de conseil à donner, on peut se laisser toucher par l’Autre.

Si Alice avait trouvé quelque chose d’intelligent à dire à Sonia, qu’est-ce que cela aurait apporté à cette dernière ?
Il n’y a pas à positiver, pas à relativiser, pas à rassurer.

Pour conclure

Certaines situations sont graves, suscitent de la tristesse et de la colère et on n’a pas à la relativiser ou à essayer de voir le bon côté des choses, ni à trouver un sens. 

Certaines situations de vie peuvent susciter un soulèvement, une confusion, contre lesquels il n’y a strictement rien à faire, ou à dire, juste se laisser traverser.

Si on cherche à me rassurer, je risque de me sentir encore plus seule dans ma douleur. Mais quand j’entends que l’Autre, même s’il ne peut rien pour moi, a ressenti de la colère, de la tristesse, ou même juste de vagues émotions ou sensations quand j’ai parlé de moi, alors là, ça m’apporte tout un tas de choses.

Cela veut dire que j’existe pour l’Autre. Que je compte.

NB *: Pour préserver l’anonymat total des participantes de mes accompagnements, leur identité a été modifiée. Certains éléments personnels ont été également modifiés ou volontairement omis, afin de préserver la confidentialité de leur histoire.

Vous avez la parole :

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